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"Aiguiser nos larmes", EXO EXO



‘La peur m’accompagne mais ne me guide pas’

‘Aiguiser les larmes’ était le premier titre de l’exposition de Camille. Et puis en discutant, nous avons décidé de nous inclure tous et toutes dans ce mouvement, de nous y jeter. Ce sont donc de nos larmes dont elle nous parle ici et du chemin pour en faire des armes.

Car il s’agit bien de nous. De la nécessité de nous regarder dans des miroirs. Sauf que chez Camille, les miroirs ne sont pas des instruments de vanité ou de dégradation de la représentation féminine, mais de puissants outils de réflexion. Emancipateurs, ils permettent d’affronter, prendre conscience, regarder et apprendre.

‘Je sers mes faiblesses au plus près de mon cœur comme un nouveau-né’

Il y a de la résistance dans la peinture de Camille, une retenue, une discrétion. Ses figures sont comme assises ou étendues dans un moment de contemplation. En même temps, il s’en dégage la brutalité des corps nus, l’affirmation de leur physicalité, leur ancrage. ‘Je sens quelque chose de fort’ m’a répété plusieurs fois Antoine. ‘D’une beauté naïve et super deep en même temps’.

Les sujets de Camille mêlent en eux du profondément intime et du profondément à l’autre. C’est dans cet espace magique entre le groupe et le soi que son travail opère. Dans leurs poses ultra classiques, frontales, ses personnages semblent installé.e.s dans le silence. Pourtant, il ne s’agit que de dialogues et d’échanges. Guerriers et guerrières, du vent soulève parfois leurs cheveux pour nous rappeler que le corps est une force bavarde.

Ce qui intéresse Camille, ce sont précisément les mécanismes de défense de nos corps, de nos esprits et de nos environnements dans la vie de tous les jours comme dans les luttes sociales et féministes. Les corps sont au centre. Ils sont le territoire à reconquérir et à habiter entièrement. Partout autour, une nature aride irise leur chair dans un désir féroce de tendresse.

‘Si je survis c’est en faisant l’amour avec l’élégance des grandes pieuvres’

Au centre, la table prend la forme d’une anémone ou d’un oursin. Elle pique si l'on s’en approche. C’est important la limite. Chez Camille, c’est surtout positif. Les peintures sont des miroirs, les objets sont des armes, les textes sont leurs voix. C’est l’incroyable danse d’un monde fertile qui se heurte à la soif et au désert.

 

– Elisa Rigoulet, janvier 2023

"Puisque tout est déjà ici"
 

 

 

    Plongée dans un bain de soleil toujours au zénith, les peintures à l’huile de Camille Soualem nous enrobent comme un bonbon sucré dans une lumière chaude, ronde et qui sent bon. A l’image d’un archipel, son œuvre est un ensemble qui réunit où chaque peinture dégage à elle seule l’aura d’une montagne sacrée, celle d’un trésor. On s’y sent bien. Sentant tout aussi bien que quelque chose nous est raconté. Comme un secret murmuré… 

Quelque chose à prendre sur place et à emporter. 

 

Peints comme des moments suspendus, le barbecue, le debrief, la sieste, le baiser ou la fin de soirée deviennent des scènes à chérir. Pourtant, à la rencontre de ces peintures, on croirait presque qu’on arrive en retard. Que les choses se sont déjà passées, que l’action a déjà eu lieu et que nous sommes dans le temps d’après. Quand ça se dilate et que tout passe sans prise… quand on s’évade et pense à ce qui doit être panser… Les verres ont été renversés, les cigarettes consommées, même les saucisses sont cuites et les conversations silencieuses… puisque ce que les personnages font, est précisément de ne rien faire. Ils se tiennent là, dans une présence sans ornements. Ils se regardent, s’écoutent, se penchent ou se reposent et même lorsqu’ils s’embrassent, s’enlacent ou se touchent, on sent bien qu’il est question d’éternité. 

Que tout a déjà commencé pour toujours. 

 

Ces corps, humains, occupent l’espace sans le dévorer. Consistants mais traversés, ils nous apparaissent également proches à nous même qu’ils le sont à l’espace de la peinture. Comme les gouttes d’eau font la pluie, ils sont les éléments du tout qui les composent aussi : ni plus, ni moins qu’un brin d’herbe caressé par le vent.. ils font corps avec. Peints d’une même touche liée, baignés d’une même lumière, ils tiennent parce qu’ils se tiennent ensemble : plantes, pots, soupirs, fumées, corps et mobiliers. Les éléments existent dans sa peinture comme dans nos sensibilités : intimement liés. 

Intimement présents les uns aux autres. 

 

Nous ne sommes donc pas vraiment en retard puisqu’il n’y a pas vraiment d’après, il n’y a que des invitations à faire partie du moment dépeint. La disposition des tables, comme palier devant la porte, suggère déjà notre présence. L’assiette bientôt pleine ou le bol de fruits bientôt vide, accueille chacun notre œil comme un écrin dans l’espace de la peinture. Nous sommes donc bien concerné.es, dans ce qui est en train de se passer, invité.es à nous asseoir à la table et à y rester. A vivre autrement l’expérience même du temps, 

un temps sensiblement présent et partagé.

“Je peindrais toujours des gentes à la même table” me dit-elle. Et c’est bien de cela dont il s’agit : lutter contre les lendemains brûlés. Ne pas se laisser saisir par ce chaos désolée dont il faudrait embrasser la beauté puisque de toute façon, il est mathématiquement prouvé que nous sommes foutus. Pour Soualem, demain doit sans cesse s’imaginer. Et s’imaginer autrement que dans la fatalité de l’échec et l’attente de la fin. Les futurs, comme les joies et les désirs, sont des espaces à reconquérir. 

Et l’art, un lieu pour se battre. 

 

 

La démarche artistique de Camille Soualem marche à pas lents à côté des voies rapides. En peignant des scènes d’un quotidien ordinaire, où des personnages rejouent sans cesse leur humanité, notamment dans leur intimité avec le monde des plantes, l’artiste interroge les limites d’une espèce hors sol, déracinée. Elles nous rappellent que les fleurs coupées fanent sans repousser dans les vases comme les racines à la surface meurent sans se prolonger dans le sol. 

Ces êtres qui semblent s’être abandonnés dans l’espace de la peinture comme dernier refuge ont bien quelque chose de rassurant. Quelque chose de primaire et de beau. Quelque chose de l’accueil et de l’abandon. 

Quelque chose de retrouvé. Comme un souvenir d’enfance réveillé d’un long sommeil, ils me rappellent une manière de sentir. Une manière d’être en poésie, située loin de toute exigence performative où l’humain est puissant sans armes puisqu’il est lié et présent à toute chose...  

Comme une forme de vie ralentie, mais possible.  

 

 

    C’est pourquoi la peinture de Soualem exige pour moi de faire un pas de côté. Un pas juste à côté de cet égo prétentieux d’exercer un pouvoir continu sur les choses du monde. L’expérience de ces œuvres, elle, me suggère simplement d’être une goutte d’eau. Cette goutte d’eau qui devient vapeur, flaque, brume et océans.. Cette goutte d’eau qui se transforme d’état en sensibilité, d’espace en aspect… 

dans une métamorphose éternelle. 

 

 

 

Pendant qu’ils érigent des monuments,

elle déplace de petits cailloux, 

 

puisque tout est déjà ici, m’a-t-elle dit : 

l’enfer et le paradis.

- Pauli Bertholon

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